Qu’est-ce que l’anthroposophie
Notre époque place chacun devant le défi de décider lui-même de la conduite de sa pensée et de ses actes, s’il ne veut pas se perdre dans le monde matériel. C’est en étant confronté à cela, qu’apparait souvent le besoin d’établir un lien conscient avec le spirituel. Rudolf Steiner a consacré toute sa vie au développement d’une méthode de connaissance devant permettre d’atteindre un monde spirituel, méthode s’apparentant à l’approche scientifique.
L’anthroposophie — que l’on peut traduire par « conscience de sa propre humanité » — peut permettre à l’homme de donner une orientation autonome à sa spiritualité. Elle apporte aussi des impulsions dans tous les domaines de la culture. Ainsi, nombre de personnalités ont puisé en elle de nouvelles perspectives, tant pour leurs idées que pour leurs activités culturelles. Les réalisations, issues de l’anthroposophie, en pédagogie, médecine, agriculture et architecture ont été remarquées partout dans le monde, plus particulièrement depuis le dernier tiers du 20 siècle, qui, de plus en plus, a mis en avant l’élément spirituel. Les plus de 10 000 institutions d’orientation anthroposophique, présentes sur tous les continents, cliniques, écoles, fermes et foyers sont aujourd’hui estimées et reconnues. Des initiatives culturelles existent dans les zones de grande détresse sociale d’Afrique du Sud, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient.
L’anthroposophie propose aujourd’hui dans le monde entier un espace et des moyens pour le développement spirituel et artistique pour l’engagement civil et social.
Extrait de L’anthroposophie et le Goetheanum, Ed Goetheanum
La naissance de l’anthroposophie
Si l’anthroposophie est venue au jour c’est parce que des processus étaient en marche, et qu’étaient réunies des conditions rendant ce courant de pensée possible :
- d’abord, le fait que grâce à des scientifiques comme Darwin et Haeckel, on est capable de penser que l’homme, les êtres vivants, la terre, sont le résultat d’un processus évolutif. La terre n’était pas pareille hier, et l’homme y a suivi un parcours, qui n’est pas terminé.
- Ensuite, l’homme s’est approprié la capacité de penser : en particulier depuis la fin du Moyen-âge, la pensée peut analyser avec beaucoup d’intelligence le monde qui nous entoure, et elle ne s’en prive pas !
- Enfin, les gens se ressentent, plus que jamais, comme des individus. Ils prennent de plus en plus leur autonomie par rapport à leurs groupes d’appartenance (villages, pays, familles, etc.) pour vivre leur propres projets.
Évolution et individualisation
Ces trois avancées de l’homme ont cependant une résonance complètement différente dans l’âme selon qu’on se place du point de vue des éclairages de la « science de l’esprit », ou de la pensée dominante actuelle.
Pour celle-ci, l’évolution est le signe de l’origine animale de l’homme, et elle recherche toujours le fameux chaînon manquant. L’homme est l’aboutissement – provisoire – de la complexification d’une matière, qui fait apparaître des propriétés émergentes : la vie, les sensations, la pensée… L’homme est le produit du hasard.
Pour la pensée anthroposophique, l’homme est central dans l’évolution, et les objets et êtres du monde qui nous entoure sont en quelque sorte des parties de nous-mêmes qui ont été « cristallisées » au cours du temps pour que l’homme puisse asseoir son propre parcours.
La terre est notre proche parente
Pour la pensée contemporaine, la capacité d’analyse est le moteur ; c’est cette qualité qui permet d’avancer avec pragmatisme, efficacité dans le monde de la matière, voire plus loin avec les actuelles nanotechnologies. Les sujets d’étude sont séparés en éléments simples, sont décortiqués pour une compréhension logique de causes et d’effets.
Pour le courant anthroposophique, la pensée ne sert pas à comprendre les choses, elle est là comme « éducatrice« , comme instructrice pour appréhender la réalité. La véritable compréhension se fait avec l’âme.
L’individualisation de l’homme prend dans notre monde la tournure d’un égoïsme exacerbé, d’un intérêt pour soi-même. On cultive la réussite personnelle, le besoin de sortir du lot avec succès, et pourtant dans le même temps des pratiques éducatives nivellent les esprits, et la télévision rugissante happe les facultés personnelles du jugement autonome.
L’émergence de l’individu pour la conception anthroposophique, c’est un processus de développement spirituel où l’homme se prend en charge, en conscience de cette appartenance à une évolution « cosmique », terrestre, et donc en solidarité a priori avec la communauté humaine d’une part, avec son environnement d’autre part.
On voit qu’à partir des mêmes interrogations, liées à des faits, extérieurs ou en l’homme, on tire des conclusions intellectuelles, qui engendrent des sentiments et des actes complètement opposés.
Avant de revenir sur le fait que les qualités de solidarité, de pensée vivante, et le sentiment d’appartenance à un monde humain ne sont pas évidemment l’exclusivité des anthroposophes (mais les conceptions anthroposophiques y mènent de façon « impliquante », et consciente), voyons comment ces aspects se déclinent pour l’agriculture.
L’agriculture biodynamique au regard de l’anthroposophie
Les conséquences pratiques pour l’agriculture sont bien sûr essentielles.
L’évolution, c’est la continuité des générations, la notion d’élevage, de domestication, des végétaux comme des animaux. Une vue utilitaire, analytique séparera les éléments, jusqu’aux plus petits, comme les gènes, pour les recomposer en organismes génétiquement modifiés, plantes ou animaux déconnectés de leurs terroirs, assistés par des produits artificiels, mondialisés… Avec le seul souci d’en tirer le meilleur parti.
Le sentiment de parenté guidera à l’opposé, vers une sélection soucieuse de l’être des plantes ou des animaux, vers un « élevage – élévation », avec une certaine compassion. Les semences seront celles de plantes reliées à leurs terroirs, que l’on appelle aujourd’hui « semences paysannes ». Une reconnaissance de réciprocité sera le fil conducteur de l’évolution agricole : je prends à mon environnement pour mon évolution, mais je lui donne aussi la possibilité d’évoluer.
La pensée agronomique analytique sépare la terre, le végétal, l’animal, en ateliers spécialisés, sans liens entre eux. Elle mène à la notion absurde et pourtant admise d’ « exploitation » agricole, où il est permis de puiser sans se préoccuper du lendemain…
A l’opposé, la biodynamie propose de mettre en évidence les liens, de cultiver ces liens entre animaux, végétaux, terre, et hommes. Tout agit sur tout, et nous devons créer les synergies – la ferme est un organisme vivant – qui amènent une fertilité croissante au fil du temps.
Enfin, la conception de l’individu : l’exploitant agricole doit mener son projet dans la jungle de la concentration des fermes (60 fermes disparaissent chaque jour en France !). Il doit tirer son épingle du jeu, fier et juché sur son tracteur, point brillant, isolé dans un désert humain. Paradoxalement cette survie héroïque est assujettie au nouvel esclavage qu’impose la politique agricole, à la négation du bon sens paysan, au dictat de l’éligibilité aux primes diverses…
Le biodynamiste prend conscience de la place particulière de l’homme dans l’agriculture. Il prend sa part de responsabilité dans l’avenir de la terre. C’est une plénitude qui peut l’envahir, lorsque les contraintes, en particulier économiques, lui laissent un peu de répit…
Deux gestes bien opposés accompagnent l’agriculture selon la conception à laquelle l’agriculteur se relie. L’un sur le chemin d’une rencontre, d’une ré-union entre les règnes qui composent notre environnement, et la responsabilité de l’homme sur ce chemin. L’autre fait plus penser à une course centrifuge, qui continue la séparation des choses et des êtres, où l’homme lui-même se ressent écartelé, dans la recherche d’un sens introuvable.
Répondre aux aspirations humaines profondes
Finalement la biodynamie est une méthode agricole qui prend en compte des aspirations humaines profondes que l’anthroposophie met en lumière et cultive.
Ces aspirations ne sont pas réservées à quelques anthroposophes. Elles sont humaines tout simplement et viennent à jour çà et là, sous une forme ou une autre. Beaucoup de personnes, qu’elles soient agriculteurs, jardiniers, consommateurs, citoyens, ont en elles ces intuitions, qui les rendent peu à l’aise dans le monde tel qu’il est actuellement conçu et guidé en conséquences de ses conceptions. Ces gens sont réceptifs à cette mise en phase entre leur ressenti profond, pas forcément clairement exprimé, et ce que la biodynamie apporte par sa pratique, par les liens neufs qu’elle permet d’entretenir avec les plantes, les animaux, la terre.
C’est une mise en phase avec un sentiment d’«humanité» qui peut toucher les uns ou les autres lorsqu’ils abordent la biodynamie.
L’anthroposophie n’est pas un passage obligé pour celui qui côtoie la biodynamie ; s’il est sincèrement touché, il sera certainement reconnaissant au courant qui lui permet de se retrouver lui-même, en phase avec ses aspirations. De là à vouloir s’approprier ce courant, c’est bien sûr une affaire intime et personnelle. C’est une démarche qui va du profond de l’être vers une aspiration à en connaître davantage…
Pierre Dagallier,
Paysan en biodynamie
Pour plus de renseignements contactez : Société Anthroposophique, 4 rue de la Grande Chaumière, 75006 Paris, téléphone : 01.43.26.09.94 – fax : 01.43.25.26.21